Les sujets, par Isabelle Pirot

On s’interroge : Pourquoi cet artiste n’accapare-t-il que des sujets aimables ou aimants ? Ignore-t-il le tourment ? Au contraire. Et c’est un choix.
Plus jeune, il a connu sa période torturée. Dans l’atelier d’Ottawa où sa vocation est née, la guerre du Vietnam animait ses bras, ses mains d’une frénésie douloureuse. Il dénonçait les crimes en arrachant au bois des effigies de meurtres, l’effroi de mères désespérées, le crâne d’un jeune homme défiguré. Sans doute lui aura-t-il fallu transcender la douleur humaine pour parvenir à vivre ? C’est son art qui l’a sauvé.

Et puis que voulez-vous, cet homme aime les gens. En vérité c’est un amoureux. Il s’émeut devant la grâce, l’innocence le foudroie. Entre ses mains, la bonté devient la beauté et la beauté transmet la bonté. Il éternise le meilleur de l’Homme. Il en faut.

S’il est devenu l’artiste du mouvement, c’est peut-être que son univers intérieur est perpétuellement bouleversé.
Alors oui, Etienne trouve en l’Amour une inépuisable source d’inspiration. C’est son terrain de jeu, son sujet de prédilection. Tel qu’il le représente, l’amour n’a aucun besoin d’être “dramatisé” pour voyager d’un être à l’autre par l’entremise d’une œuvre d’art.
Il le met en scène au quotidien.
Parce que c’est dans le quotidien que survient l’extraordinaire : La présence.

C’est au présent que se conjuguent l’amour et ses démonstrations qui nous le renouvellent. Ces baisers dans le cou reçus par surprise, celui qu’on envoie du bout des doigts et qu’un souffle transporte tout chaud jusqu’à sa cible, celui qu’on enfouit dans une paume odorante, celui qui réveille, celui qui console, le nocturne, le furtif, le doux, le coquin… Oui ! Tous ces baisers aux quatre vents émanent d’un coeur gourmand.
C’est au quotidien qu’on trinque avec l’ami de passage, avec lequel on converse, avec lequel on partage le plaisir du vin ; admirer la robe, humer le parfum, juger du goût par la langue et le palais. Sa série dite Bacchanales témoigne assez de son appétit des choses terrestres.
C’est au quotidien qu’on se rencontre, en sortant de chez soi pour aller chercher son pain ou prendre son train et qu’on échange un mot ou deux comme ça.
C’est aujourd’hui qu’on se quitte jusqu’à demain ou pour toujours.

Y a-t-il autre chose que ce présent, je veux dire de tangible ?
Et justement la sculpture n’est-elle pas, de tous les arts, le plus palpable, celui qui tombe sous le sens du toucher ?

En célébrant le quotidien, Etienne montre combien il est ancré dans la réalité. Il faut être bien enraciné d’un côté pour tutoyer le ciel de l’autre.
Ainsi, son sujet peut être léger, l’objet dépasse le sujet, s’inscrivant au panthéon des œuvres d’art. Car il n’y a pas “illustration”, mais “incarnation”.

On entend souvent dire de Mozart qu’il est “léger”. Si léger qu’il nous élève ?  Quelle force herculéenne pour soumettre le malheur et donner à entendre cette pluie  bienfaisante de notes arrachées au néant et qu’on écoute comme si elles allaient de soi et qu’on les connaissait depuis toujours !
On devrait honorer ceux qui nous harmonisent par le pouvoir de la Beauté, car la Beauté galvanise, la Beauté console, la Beauté transcende, la Beauté éternise. Il n’y a pas une âme qui n’en soit intimement assoiffée.

On pourrait après tout dire que le sujet importe peu, que c’est le traitement qui compte ; sans doute. Pourtant, voilà qui s’apparente à la dispute entre la forme et le fond, indissociables selon moi. De même qu’en littérature, un beau style ne saurait délivrer des propos insipides ou avilissants, un sujet de sculpture trouvera, s’il veut atteindre la Beauté, le véhicule approprié.
Sans céder à la mode, sans concession au sentiment, les formes sont ici simples et pures. Le simple s’obtient difficilement, le pur ne s’obtient pas, il fait déjà partie de l’être ; ou pas.




Scenes from life, by Isabelle Pirot

We may ask ourselves: Why does this artist treat only amiable or affectionate subjects? Does he not know what torment is? On the contrary. And his is a deliberate choice.
When he was younger, he went through his tortured period. In the studio in Ottawa where he found his vocation, the Vietnam War animated his hands and arms with painful frenzy. He denounced crimes by wresting from wood effigies of murders, the terror of desperate mothers, the skull of a disfigured young man. Perhaps he had to transcend human pain in order to manage to live? It was his art that saved him.

And then, well, this is a man who loves people. In truth, he is a romantic. He is moved by grace, innocence leaves him thunderstruck. In his hands, goodness becomes beauty and beauty transcends goodness. He perpetuates the best in Man, which is essential.
If he has become the artist of movement, it is perhaps because the world inside him is perpetually turned upside down.
So, yes, Etienne finds in Love an inexhaustible source of inspiration. It is his playground, his subject of predilection. Such as he represents it, love has no need to be ‘dramatized’ in order to travel from one being to another through a work of art.
He stages it on a day-to-day basis.
Because it is in the everyday that the extraordinary occurs: presence.

It is in the present that love and its manifestations that renew it in us are conjugated. Those surprise kisses on the neck, those blown and carried away nice and warm by a breath of air to their target, those buried in sweet-smelling palms, those that awaken, those that console, the nocturnal ones, the furtive ones, the soft ones, the naughty ones… Yes! All those kisses in every direction emanate from an avid heart.
It is on an everyday basis that we clink glasses with a passing friend, with whom we converse and share the pleasure of wine, admiring its colour, inhaling its aroma, judging its taste with tongue and palate. His Bacchanales series bears witness to his appetite for things terrestrial.
It is on an everyday basis that we meet, as we go out to buy our bread or catch our train, and we exchange a couple of words like that.
It is today that we part until tomorrow, or for ever.
Is there something other than this present, I mean something tangible?
And, of all the arts, is not sculpture precisely the most palpable, and most patently, the one of touch?
By celebrating the everyday, Etienne shows how much he is anchored in reality. You must be well rooted on one side in order to be on first-name terms with heaven on the other.
Thus, his subject may be light and the object surpasses the subject, finding itself in the pantheon of works of art. For there is no ‘illustration’, just ‘incarnation’.

We often hear it said that Mozart is ‘light’. So light that he elevates our souls? What Herculean strength to defeat misfortune and allow us to hear that benefi cent shower of notes plucked from nothingness and that we listen to as if they were self-evident and we had always known them !
We ought to honour those who attune us via the power of Beauty, for Beauty galvanises, Beauty consoles, Beauty transcends, Beauty never ends. There is no soul that does not intimately thirst after it.
One might say in fine that the subject matters little and it is the treatment that counts. Probably. However, therein, it resembles the quarrel between style and content, for me inseparable. Just as in literature, a fine style cannot deliver insipid or demeaning words, a sculpture’s subject will find the appropriate vehicle if it wishes to attain Beauty.
Without yielding to fashion or conceding to sentiment, the forms are simple, pure. Simplicity is hard to attain, purity cannot be attained – it is already part of the being, or it is not.



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